Le philosophe Soren Kierkegaard(1/2)

La brillante réussite universitaire de Kierkegaard sonne le glas de ses fiançailles. N’a-t-il pas déjà, eu un moment de détresse, confié à son journal: Déchiré comme j’étais au-dedans de moi-même, sans nulle chance de mener une vie de terrestre bonheur9—0 sans nul espoir d’un avenir heureux et confortable(—),quoi d’étonnant alors si, par désespoir forcené, j’ai sais uniquement le côté intelligent de l’homme, que je m’y sois accroché avec force et qu’ainsi la pensée de ma richesse intellectuelle ait été ma seule consolation ,les idées ma seule joie et les hommes mon indifférence?

Chaque jour sa mélancolie le domine de plus en plus, et dans ses tourments il voit le doigt de Dieu. Régine ne peut le comprendre et le traite de fou, mot cruel qui le cingle au visage. Le médecin consulté est pessimiste. Il ne croit pas que le jeune homme puisse supprimer son mal. Dans cette triste disproportion entre le physique et le psychique qui le torture, Kierkegaard voit désormais une écharde dans la chair, sa limite sa croix, le prix élevé auquel Dieu lui a vendu une force d’esprit qui cherche son égale parmi ses contemporains. Il doit détacher sa fiancée de lui ;Il se noircit à ses yeux, il joue les fourbes et les imposteurs. Les visites s’espacent; les lettres s’abrègent, quelques mots, toujours les mêmes: ne m’attends pas. Un soir, il se rend chez la jeune fille et lui cherche une mauvaise querelle. C’est la fin. Le lendemain, supplié par par le père de Régine, il revient une dernière fois. Je revins et lui fis entendre raison. Elle me demande: Ne veux-tu jamais te marier? Je lui répondis: si, dans dix ans, quand le feu de la jeunesse sera passé et qu’il me faudra une jeune fille au sang chaud pour me rajeunir. Nécessaire cruauté. Elle me dit: Pardonne-moi la peine que je t’ai faite. Je répondis: C’est moi qui devrais t’adresser cette prière. Elle me dit :promets-moi de penser à moi. Je le lui promis. Elle me dit: Donner un baiser. J e le lui donnais, mais sans passion. Dieu de miséricorde.

Elle tira un petit billet où il y avait un mot de moi et qu’elle avait coutume de porter sur sa poitrine; elle le retira, le déchira en silence en petits morceaux, puis elle me dit :Tu as pourtant joué avec moi un jeu cruel.

La rupture a fait scandale dans les milieux bourgeois de la capitale. Kierkegaard lui, des nuits durant sanglote sur son amour perdu. Malade, désemparé, il prend, le 25 octobre 1841,la route de Berlin.

Bien plus tard, il écrira: si je n’avais pas été un pénitent (—),si je n’avais pas été un mélancolique, mes relations avec elle m’auraient rendu heureux comme jamais je n’aurais rêvé de l’être. Qu’était donc cette mélancolie de Kierkegaard qui le laissait seul avec la sombre pensée de souffrir et d’avoir à souffrir? Elle n’avait rien de commun, a-t-il précisé plus d’une fois, avec la tristesse vogue des romantiques. C’était une véritable maladie. Névrose obsessionnelle? psychose maniaco-dépressive? Schizophrénie? Depuis cinquante ans, des diagnostics divers ont été formulés par les spécialistes de la psychopathologie, en pays scandinaves notamment.

Parce qu’une existence normalement humaine lui était refusé, la création littéraire devint pour Kierkegaard une nécessité vitale : Indiciblement malheureux comme je me sentais à cause de tous mes tourments intérieurs auxquels vint s’ajouter celui d’avoir rendu Régine malheureuse, j’étais pour ainsi dire perdu en cette vie; c’est alors que s’éveilla l’énorme production que j’embrassai avec une passion non moins énorme (—) Ah? Comme il est vrai le mot que j’ai souvent dit sur moi-même que Schéhérazade sauve sa vie en racontant des histoires; ainsi je sauve la mienne ou la maintiens à force d’écrire.

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